Jeudi 5 avril : jusqu'à Pham-Rang (120 km environ)

Nous sommes toujours surpris de la vitesse avec laquelle passe le temps. Cette nuit a été douce sous un climat « tempéré » aussi, avons nous mis une petite couverture.

Le réveil est toujours aussi matinal pour une journée qui sera longue et qui commence par le marché de Da Lat. C’est un énorme camaïeu, un mélange d’odeurs, de parfums. On est très vite attiré par les fleurs, les fruits, les pains français, les paysans qui font leurs échanges accroupis à même la chaussée. Une bonne heure n’est pas suffisante pour profiter de son charme. Il est en tout point remarquable tant à l’intérieur où les étals se succèdent qu’à l’extérieur. Que d’orchidées chez le fleuriste!

Ici, c’est un petit paradis. Nous faisons ensuite le tour du lac  artificiel de 45 hectares : Xuan Huong (Parfums du printemps) en pleine ville. C’est un lieu de promenade privilégié avec son sentier de 5 km environ bordé de merisiers. Est annoncé ici pour le dimanche suivant, une grande course VTT apparemment internationale. Immenses pelouses, cafés, restaurants l’entourent : c’est un incontestable lieu de vie pour une ville remuante.

Nous revenons à l’hôtel par le quartier colonial bâti de grandes maisons de type basque, normand... Elles sont en pleins travaux et paraît-il très prisées par les fortunes du pays qui se les arrachent. Elles datent pour leur majorité des années 1900, la zone étant réservée à la détente des administrateurs coloniaux.

La région de Da Lat est faiblement peuplée et reste un lieu de découverte des ethnies minoritaires. Elle s’ouvre toutefois au tourisme pour ses paysages de montagne, ses plantations et ses populations au mode de vie inattendu.Les Viêts appelaient péjorativement ces populations : les Moï (les sauvages). Ils furent christianisés tandis que l’administration coloniale maintenait les Viêts hors du son périmètre. On notera qu’entre Pleiku et Kontum, les Ba Na et Gia Rai sont d’organisation matrilinéaire, les enfants portant le nom de la mère. On trouve encore des Edé, des Sedang et des Jeh dont les traditions sont préservées. La tradition orale s’y perpétue avec de longues épopées racontées par les vieux, le soir à la veillée auxquelles s’ajoutent chants et danses précédés du gong (qui marque le début de toute cérémonie). Chaque village est doté d’une maison communale sur pilotis (c’est le lieu de réunion et de culte pour la population).

Quant à Da Lat, fondée en 1893 par Alexandre Yersin, elle est appelée « La petite France des Tropiques », perchée sur le plateau de Lang Bian à 1475m d’ altitude. Elle est située au milieu du pays de Pandarang (jadis, petit royaume Cham indépendant qui eut des relations commerciales avec la Chine, le nom venant de l’ethnie des Lat). Durant l’époque coloniale, proche de Ho Chi Minh ville, elle était le point de départ de chasses au gros gibier. On l’appelait aussi « la cité de l’Amour ». Elle fut épargnée par les deux guerres et fut même pressentie pour être la capitale administrative de l’Indochine.

Parole de...marseillais :

Sitôt revenu à l’hôtel, les bicyclettes préalablement déchargées par l’encadrement, nous attendent. Nous attendent aussi des paroles pleines d’optimisme de Jean qui annonce : « journée facile toute en descente. La dernière fois avec des filles qui n’avaient que peu pédalé, nous avons roulé à plus de 24km/h. ». Cet aspect positif des choses ragaillardit même les plus récalcitrants. Danièle qui a cassé son dérailleur (visiblement, un transport sur route défoncée, lui a été fatal), prend le VTT laissé par Freddy et part à l’aventure.

« Il nous reste simplement un petit col, poursuit Jean (le col Dram à 1540m) de seulement deux kilomètres...On le passe sans le voir... »

A la réflexion, notre Jean devait être bourré comme un coing, ce jour là car...

Effectivement, le départ est plat...sur 500 mètres puis dans un virage, on commence à monter. Aucun affolement au souvenir de ces encourageantes paroles. On ne prend même pas la précaution de changer de braquet...jusqu’à ce que cela devienne nécessaire. Les deux kilomètres s’allongent comme élastique. On trouve bien la superbe pagode Cao Bach et sa voisine Chua Linh Phùoc sur lesquelles nous sommes dirigés. Elles permettent de souffler un peu sinon Dédé, l’ex-vigneron, qui lui aussi, victimes de problèmes que l’on évitera de commenter (peut-être le vin de Dalat!) ne voit pas le guide et continue seul pour rattraper ceux qui sont devant. Mais il n’y en a pas. Il ne peut donc qu’essayer de rattraper son ombre...

Quelques marchandes comme partout ailleurs : elles éclatent de rire en nous voyant, principalement les hommes dont les attributs sont saillants sous le collant. Nous rions aussi de bon coeur, en remettons une couche en passant à nouveau devant elles pour récupérer notre monture.

Nous nous attaquons alors à une série de montagnes russes sur une vingtaine de kilomètres. Les visages épanouis au départ, grimacent maintenant. C’est vrai, à décharge, nous sommes face à un paysage de toute beauté mais il le serait tout autant avec une route plus plate. Et je grimpe un kilomètre, et je descend 500 mètres. Il fait soif. Un ravitaillement bienvenu nous attend du côté de O’Ran après une nouvelle bosse. Il fait bon à cette altitude, c’est vrai mais est-ce une raison pour abuser...Jean, tout d’un coup déconfit, nous avoue qu’il ne se souvient plus très bien, il tente de trouver quelque excuse, le diable...

Enfin, on amorce la descente  dans un cadre de rêve. Dans un virage, nouveau peloton de jeunes en tenue qui attendent pour aller à l’école. Nous retrouvons la chaleur intense. L’altimètre de 4500 pieds au départ, n’en affiche plus que 200. Dans un dernier virage plus dangereux que les autres (il est rempli de trous), la chute est évitée par miracle puis c’est à nouveau la plaine et son intense chaleur. Celle-ci me donne-t-elle des ailes? En fait, tout d’un coup (et pourtant, aucune mouche ne m’a piqué!) , je mets tout à droite, passe  à plus de 34 au compteur, digère les kilomètres, voit au loin le peloton de tête, double Edwin mais n’avale pas le dernier quatuor. De dépit, j’avale...une bière qui rejoint sans temps mort, mon estomac. Si bien que j’ai tout aussi soif après...qu’avant. Nous sommes attablés dans un établissement stylé. La digestion entreprise, certains font une petite sieste, élèvent leurs gambettes, histoire de faire mieux circuler le sang.

La route désespérément plate est bordée de vignes mais aussi de champs de coton.

Ce soir, nous sommes en bord de mer, les pieds dans l’eau (et la climatisation active.)

Jean (pour se faire pardonner!...) offre l’apéritif, un alcool local à base de riz...On appelle ça Vodka. Mon sucré est allergique à ce genre de breuvage. J’y trempe seulement les lèvres, certains (on ne citera aucun nom, promis) y mettraient même le nez. D’ailleurs, pour ceux qui ne me croiraient pas, des photos témoignent. Et oui, les gars, pris sur le fait! Bande d’ivrognes...

Christian ASPE