Vietnam – Laos : Novembre 2010

Au tableau noir de mon école, le monsieur qui est venu à vélo a écrit deux mots, mais comme il utilisait son alphabet et pas le mien, nous ne pouvions pas les lire. Il nous a alors dit les mots et nous avons répété de tout notre cœur après lui : Sabaidee ! Bonjour !

 

Nalee, élève de l’école primaire de Din Dan (Laos)

 

Tout au long du périple qui nous a conduits de Hanoi à Vientiane, ce sont des centaines et des centaines d’enfants qui nous ont salué au bord de la route, criant « Hello » au Vietnam ou « Sabaidee » au Laos. Le sourire et l’enthousiasme de ces enfants, la gentillesse de la population et son sens de l’accueil resteront un des plus beaux souvenirs de ce voyage.

 

Il serait vain de vouloir décrire au jour le jour tout ce que nous avons vécu tant ce périple fut intense et enrichissant : trois numéros de Cyclotourisme n’y suffiraient pas ! Je me contenterai dès lors d’en souligner quelques temps forts.

 

La vie dans les campagnes

 

En France, nous ne voyons plus de paysans dans les champs. De temps en temps, seul un gros tracteur apparaît au loin. Ici, au Vietnam surtout, les campagnes sont pleines de monde : c’était la récolte du riz et partout les paysans s’affairaient à le couper, à le battre, souvent à la main puis à préparer les rizières pour une nouvelle plantation, en suivant le pas lent des buffles.

Plus loin, c’était tout un village qui travaillait ensemble à l’égrenage du mais. J’avais l’impression de revenir 50 ans en arrière lorsque les paysans de mon village se rassemblaient pour faire la moisson.

La terre est nourricière au Vietnam. Les habitants ont une grande maîtrise de l’eau et le moindre lopin de terre est ensemencé de légumes ou planté d’arbres fruitiers.

 

La terre du Laos est bien plus pauvre. De plus il n’y a pas ici l’énorme réservoir de la population vietnamienne qui compte 86 millions d’habitants, courageux et âpres à la besogne.

Les laotiens, qui sont 15 fois moins nombreux, doivent composer avec un relief très escarpé. Peut-être aussi sont-ils plus influencés par le bouddhisme et son caractère fataliste.

Nous y avons vu des rizières d’altitude, implantées au sommet des montagnes et qui demandent des efforts surhumains pour un rendement bien moindre.

 

On ne s’étonnera pas de rencontrer de très nombreux animaux en liberté : cochons, poules, chèvres, buffles et vaches vivent en étroite harmonie avec la population et prennent leurs aises sur la route. Nous avons même rencontré un petit troupeau sur le semblant d’autoroute qui pénètre dans Dien Bien.

 

Terres de contrastes

 

En arrivant à Son La, nous avons pu mesurer à quel point la différence de développement est grande entre la ville et la campagne.

Ici, dans les villages enfouis sous une végétation dense, on se contente du minimum, on vit dans des cases en bambou ou en bois. Seul « luxe », la télévision est présente partout et une antenne parabolique occupe le devant de la maison.

Là, dans la ville, c’est déjà la grande machine de la consommation qui est en route. Les habitants se faufilent dans les ruelles étroites pour faire les courses sans quitter leur indispensable mobylette. Des supermarchés encore rudimentaires mais déjà pleins de marchandises inutiles et futiles remplaceront bien un jour le marché et ses échoppes si animées.

 

Le contraste est grand entre les villages Mong, accrochés au plus haut de la montagne et les villages des vallées où vivent vietnamiens et thaïs.

Le contraste est encore plus grand entre les deux pays : le Vietnam sort de l’ornière, on y mange à sa faim, les écoles sont nombreuses. Par contre, nous avons eu un choc lors de notre première étape laotienne quand nous avons vu de jeunes enfants porter sur le dos des charges plus lourdes qu’eux. Ah, cet enfant qui porte son petit frère sur le dos, tout apeuré de nous voir et qui se cramponne aux jupes de sa mère qui porte elle-même une lourde charge…

La corvée bois est souvent pour les petites filles et il faudra encore bien du temps pour qu’elles puissent elles aussi aller à l’école.

 

Terre de guerre

 

Quand nous avons visité notre premier village vietnamien, je n’ai pu m’empêcher de penser à My Lai, au napalm que les américains ont déversé sans compter pour briser la résistance du peuple vietnamien, aux malheureux GI’s embourbés dans une sale guerre, mais y en a-t-il de propres ?

A Dien Bien Phu, les français ont perdu définitivement l’Indochine aux mois d’avril et mai 1954.

Ils avaient établi un camp retranché dans la plaine de Dien Bien, creusant des tranchées sans fin sur les petites collines qui parsèment la vallée pour protéger l’aéroport. Ils leur avaient donné des prénoms féminins. C’était comme une grande toile d’araignée où les vietnamiens auraient dû venir se faire prendre.

Là-haut, dans sa simple case de bambou perdue dans la montagne, le général Giap – le vainqueur de Dien Bien Phu vit toujours à cent ans - attendait son heure. Au lieu de lancer une attaque flamboyante et suicidaire, il avait décidé de grignoter les positions françaises les unes après les autres et au bout de 50 jours, le général de Castries était bien obligé de rendre les armes.

Pour les Vietnamiens, Dien Bien Phu est une espèce de pèlerinage. La nation dont l’oncle Ho avait proclamé l’indépendance en 1945 y gagnait enfin sa liberté. Il faudra cependant attendre 1975 pour que les américains quittent Saigon et que tout le pays soit réunifié.

 

Quand on traverse le pays, quand on voit le courage et la ténacité de sa population, sa frugalité, on comprend qu’un envahisseur occidental ne puisse que s’y casser les dents.

 

A l’hôtel de Dien Bien où nous prenions notre repas du soir, il y avait une réunion des dignitaires locaux : après de nombreux toasts portés à la mémoire d’Ho Chi-Min, des discours et des chants martiaux, les vietnamiens nous ont associé à leur fête et nous ont demandé de boire et de chanter nous aussi. Nos chansons étaient bien moins martiales mais elles furent fort applaudies. Ce fut un grand moment de convivialité !

 

Il ne reste rien ou presque de l’influence française en Indochine. Il subsiste quelques inscriptions en français sur les bâtiments officiels de Vientiane pour rappeler que le Laos fut sous protectorat français : les noms des ministères ou des institutions sont écrits en alphabet lao et en français mais c’est tout.

Il ne reste vraiment rien de la France ? Si, dans les petits villages du nord Laos, nous avons souvent vu des … terrains de pétanque ! Nos méridionaux Jean-Pierre et Albert ont même fait une petite partie de boules au sommet d’un col. Cela ne s’invente pas !

 

Terre de bouddhisme

 

Au Vietnam, les religions sont présentes, mais sans ostentation. On y pratique partout le culte des ancêtres et pour le reste, on est bouddhiste, catholique, protestant ou animiste.

 

Au Laos, par contre, le bouddhisme occupe largement l’espace public. Chaque village possède sa pagode. Celle-ci joue un rôle social autant que religieux : à défaut de pouvoir aller à l’école officielle, les enfants les plus pauvres peuvent y recevoir une certaine scolarité. Les exclus de la société peuvent aussi y venir pour retrouver une forme de respectabilité.

Les novices, les bonzes et les moines vivent de la charité publique et à Louang Prabang on voit dès 6h du matin les bonzes s’en aller par les rues, pieds nus dans leur habit safran, pour remplir leur panier de riz ou d’autres victuailles qu’ils se partageront ensuite.

 

Les fidèles n’assistent pas régulièrement à des offices mais vont de temps en temps à la pagode pour y déposer des offrandes ou y consulter leur oracle auprès d’un bonze.

 

La richesse de certaines pagodes est impressionnante : un grand bouddha, le plus souvent en posture de méditation, occupe la place centrale, puis ce sont des dizaines et des centaines de figures de toutes tailles qui l’entourent. Dans le cloître du vieux temple Sisaket, à Vientiane, on compte plusieurs milliers de statues. De même dans la grotte de Paku, qu’on visite après avoir traversé le Mékong en bateau, ce sont près de 4000 bouddhas qui fascinent le visiteur. Chaque année, le roi y venait en pèlerinage et à cette occasion, des artisans étaient commissionnés pour fournir de nouvelles figures.

 

A table !

 

Personne n’ignore que la cuisine vietnamienne est d’une grande finesse. Nous en avons eu un bel échantillon au début de notre voyage, en particulier sur le bateau de la baie d’Halong. Les cuisiniers rivalisent d’habileté dans la présentation de leurs plats.

Au Laos aussi, la fin du séjour a été marquée par des repas succulents.

 

Pendant le voyage, la nourriture était plus « authentique » et nous ne sommes pas absolument sûrs de ce que nous avons mangé certains jours….

Il faut dire que nos visites sur les marchés très colorés nous avaient appris que les habitants ne se limitent pas aux traditionnels poulets, porcs, bœufs et poissons élevés partout en bassin. Dans la région la plus pauvre du Laos, nous avons vu des chauves-souris, des rats et des chiens en cours de grillade. Sur le marché de Dien Bien même, des chats partageaient tristement les cages des poulets et leur funeste sort futur.

Près d’un restaurant où nous avions bien mangé, nous avons vu une espèce de raton laveur qui attendait sagement dans sa cage l’heure de passer à la casserole.

Ne parlons pas des criquets, sauterelles et larves diverses qui, grillées, font de délicieuses « chips ».

 

Celà dit, la nourriture est très saine, car à côté du riz ou des pâtes, les légumes et les fruits sont très largement présents dans l’assiette.

 

On boit beaucoup de bière dans les deux pays. Au Laos, c’est la « Beerlao » en bouteille de 68 cl qui a accompagné nos repas. Mais ceux-ci se terminaient invariablement par quelques verres d’alcool de riz. Nous avons pu nous approvisionner auprès d’une petite distillerie en plein air, installée dans un village reculé du Laos.

Au moins cet alcool était pur, car souvent, on fait macérer dans la bouteille quelque bestiole malfaisante pour renforcer le goût : larves, petits serpents, lézards, scorpions, tout est bon pour donner du tonus à l’alcool de riz. On dit que cela soigne plusieurs maladies. On raconte même qu’en plus cela décuple les performances masculines… Non, petits curieux, vous ne saurez pas si nous en avons bu !

 

Tourisme et patrimoine

 

On l’aura compris à la lecture de ce qui précède, c’est dans le contact direct avec la population et sa vie quotidienne que ce voyage a pris tout son sens.

Il ne faudrait pas en déduire que les visites culturelles et touristiques en furent absentes.

 

Il y eut bien sûr en début de séjour la belle croisière sur la baie d’Ha Long et ses presque 2000 îlots. Féerie du soleil couchant. Grottes profondes. Villages flottants des pêcheurs. Lacs seulement accessibles par un souterrain creusé dans la roche. Voiles traditionnelles des grands bateaux de croisière. Tout y évoque ce que l’on peut s’imaginer du paradis terrestre.

 

A l’autre extrémité du voyage, nous avons visité les villes de Louang Prabang et de Vientiane avec leurs anciens palais royaux, leurs pagodes multiséculaires et leurs collections de statues de Bouddha.

La ville de Vientiane, capitale du pays, tente de montrer sa parenté avec Paris : la longue avenue Lan Xang qui relie le palais présidentiel au Pha That Luang ressemble aux Champs-Elysées. Elle est coupée par un arc de triomphe, le Patouxai, dont l’intérieur est occupé par une multitude de boutiques de souvenirs. 

Les endroits de pèlerinage sont nombreux avec la grotte de Paku, la colline de Phu Si à Louang Prabang ou encore le grand stupa  Pha That Luang de Vientiane sous lequel, dit-on, se trouve un cheveu de Bouddha.

 

La montagne laotienne offre des images d’estampes, avec son relief tourmenté, ses flancs abrupts, ses sommets  couverts de rizières d’altitude. Des cascades et des rivières aux eaux claires s’y faufilent au milieu d‘une végétation luxuriante. Partout, les bananiers offrent leurs fruits au parfum si subtil. Les bambouseraies fournissent le bois de construction des maisons et des greniers à riz. Le bambou est aussi utilisé en bois d‘échafaudage, même dans des maisons à plusieurs étages.

 

Le Mékong, fleuve nourricier de toute l’Asie du Sud-est, coule paresseusement le long des terrasses de Louang Prabang mais à Vientiane, vidé de son approvisionnement en raison des barrages implantés loin en amont par les chinois, il ne peut plus remplir son vaste lit et laisse découvrir de tristes bancs de sable. L’eau est partout dans le monde un enjeu majeur de notre siècle, mais ici plus encore. Comment tous ces pays riverains pourront-ils se mettre d’accord ?

 

Un groupe à vélo

 

Un voyage, si beau soit-il, n’est pleinement réussi que si l’harmonie règne au sein du groupe des participants.

La trentaine de cyclos, venus du Midi, d’Ardèche, du Poitou, du Centre, de la région parisienne, de Normandie, du Nord ou encore des Ardennes belges ont formé un groupe soudé et plein de bonne humeur. C’est certainement grâce  à la direction discrète et efficace de notre accompagnateur que la mayonnaise a aussi bien pris. Il faut également saluer l’efficacité des équipes d’encadrement tant vietnamienne que laotienne. Il fallait les voir à l’œuvre, dans ce petit restaurant villageois où nous avions débarqué sans crier gare, pour nous préparer un repas complet en moins d’une demi-heure !

 

Tout ce petit peloton s’est élancé gaiement sur des routes en relativement bon état. Certes, il y eut quelques passages délicats où le VTT aurait été bien utile mais ce fut l’exception. Pour le reste, les cyclos ont dominé un relief souvent tourmenté et trouvé facilement leur place dans la circulation. Parfois, celle-ci est intense et on ne sait pas très bien s’il existe réellement un code de la route dans ces pays : cela n’empêche pas vélos, voitures, camions, vélomoteurs et … animaux de vivre en bonne compagnie, chacun occupant son espace sans empiéter sur celui des autres.

 

Conclusion

 

Après plusieurs voyages au Vietnam, au Cambodge, en Thaïlande, c’était la première fois que la FFCT proposait le Laos comme destination principale. Nous y avons inauguré un nouveau voyage et nous souhaitons que beaucoup partent après nous à la découverte de ce pays attachant.

Dépêchez-vous car dans quelques années, le grand mirage de la civilisation de consommation aura eu raison des modes de vie ancestraux. Pour nous occidentaux qui vivons chaque jour la dérive du système de consommation, c’est la perte d’une forme d’équilibre entre l’homme et la nature, mais franchement, pourquoi la petite Nalee et ses camarades qui nous ont reçus si gentiment dans leur école ne pourraient-ils pas eux aussi avoir assez de moyens pour parcourir le vaste monde ?

 

Fernand Yasse